COVID-19 : La perspective du temps
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J’ai commencé à voir apparaître des photos d’enfance sur mon fil Facebook et sur Instagram.
Toutes ces vieilles photos m’ont rappelé la polyvalente de Sainte-Agathe et le ‘gang du portique’ à laquelle je m’associais. Ma soeur de 13 mois mon aînée était dans le ‘gang des discos’. Wouach. On ne se parlait presque pas à la maison, car à la polyvalente, ces deux gangs-là étaient un peu en guerre de style. Je me promenais avec ma salopette jeans et mes bottes Kodiak, et soeurette se promenait avec la coupe de cheveux à la Farah Fawcett et abusait allégrement du mascara. Ce fut un temps merveilleux et difficile à la fois. Apprendre à trouver sa personnalité à travers celle des autres, et comprendre que tout est devant nous et qu’on pourra changer de style 100 fois au cours de notre vie si on se tanne du duo salopette/bottes Kodiak (c’est fait, ne vous inquiétez pas à ce sujet :).
Certains spécialistes en stratégies de communication numérique suggèrent que c’est le confinement qui explique le mouvement des photos d’enfance sur les réseaux sociaux. Ainsi confinés à la maison, les gens ont finalement eu le temps de dépoussiérer les vieux albums photos ou faire le ménage dans la boîte à chaussures pleines de souvenirs cachée au fond du grenier.
On ne connaîtra sûrement jamais la cause exacte de ce mouvement social, mais quand je me suis mise à réactiver de vieux souvenirs d’enfance en voyant les photos de jeunesse de mes amis Facebook, la première question que je me suis posée est celle-ci : ‘ces souvenirs, ils sont positifs ou négatifs ?’
Je m’amusais ainsi à vérifier la perspective du temps de mes souvenirs. En 1999, Philip Zimbardo et John Boyd, deux chercheurs de l’Université Stanford ont commencé à s’intéresser à l’impact de la perspective du temps sur les émotions et l’humeur des gens. La perspective du temps réfère au moment (présent, passé ou futur) dans lequel nous situons la majorité de notre vie. Ainsi, certaines personnes vivent la majeure partie de leur vie dans le passé, tandis que d’autres ne cessent de se projeter dans le futur et certains autres vivent dans le moment présent.
Quoique beaucoup de conseillers en croissance personnelle ne cessent de dire que l’on devrait passer le plus clair de notre temps dans le moment présent, les choses ne sont pas aussi claires que cela pour Zimbardo et Boyd. En effet, ils ont montré que les trois grandes perspectives du temps peuvent avoir un impact différent sur les émotions en fonction de la nature (positive ou négative) de la perspective temporelle adoptée.
Ainsi, bien que certaines personnes soient capables de passer le plus clair de leur vie dans un ‘présent positif’, beaucoup d’autres personnes vivent dans un ‘présent fataliste’ dans lequel tous les événements qui surviennent ‘ici et maintenant’ sont vécus comme étant très négatifs.
De façon similaire, même si on pourrait penser que ce n’est pas bon de vivre dans le passé, les chercheurs ont montré que, bien que certaines personnes passent le plus clair de leur temps à ressasser un ‘passé négatif’ (‘ma vie a été très difficile’, ‘j’ai beaucoup souffert’), d’autres préfèrent vivre dans un ‘passé positif’ (‘la vie était beaucoup mieux dans mon temps!’, ‘Ciel que je me suis amusé quand j’étais jeune!’).
Enfin, bien que certaines personnes vivent constamment dans un ‘futur négatif’ (‘tout ira mal’, ‘ça ne fonctionnera pas’), d’autres vivent dans un ‘futur positif’ (‘tout ira bien, je me lance !’).
Au départ, les chercheurs ont suggéré que certaines perspectives du temps devraient mener à des émotions plus positives que d’autres. En effet, on pourrait penser que le fait de passer sa vie dans un passé positif ou un futur positif ne peut apporter que du bon dans notre vie. Toutefois, ce n’est pas le cas. Il est possible que les gens qui vivent constamment dans un passé positif aient de la difficulté à s’adapter au présent lorsque celui-ci est moins joyeux que le passé qui est constamment rappelé. À la longue, ceci peut mener la personne à développer des émotions négatives. De la même manière, bien qu’il soit bon de voir le futur d’un point de vue positif, cette surévaluation du futur peut mener certaines personnes à prendre des risques indus (comme se jeter d’un avion pour faire du rouli-roulant sur les nuages en se disant que tout va bien aller) qui peuvent diminuer leurs chances de survie.
Au cours de leurs études, Zimbardo et Boyd ont commencé à comprendre que personne ne se retrouve à temps plein dans une perspective temporelle unique et que la combinaison de différentes perspectives temporelles peut prédire la nature des émotions vécues. Ainsi, quelqu’un qui montre une forte tendance à vivre dans un passé négatif et un présent fataliste rapporte en général plus d’émotions négatives et de symptômes dépressifs qu’une personne ayant tendance à se situer dans un passé positif et un présent hédoniste.
En 2016, Robert Juster un étudiant ayant fait son doctorat avec moi et qui est maintenant chercheur au département de psychiatrie de l’Université de Montréal a montré que les gens qui ont une perspective temporelle positive (passé positif, présent hédoniste) réagissent moins fortement à un stress aigu que les gens ayant une perspective temporelle négative (par exemple: passé négatif, présent fataliste). En 2020, une autre étude de l’équipe de Robert a montré que les gens du premier groupe présentent également moins de stress chronique que les gens du second groupe.
C’est sur la base de ces études que je me suis demandée quelle était la nature (positive ou négative) des souvenirs que les photos d’enfance de mes amis Facebook évoquaient en moi. Et j’en suis venue à la conclusion que la majorité des photos réactivaient des souvenirs heureux. Je me suis bien marrée à tous vous revoir mes très chers amis du secondaire.
En allant déposer mon café sur le comptoir de la cuisine, je me suis dit : ‘Eh bien ! Je dois être dans un passé positif ces temps-ci’.
Et en furetant sur internet quelques minutes plus tard pour trouver le livre de vulgarisation scientifique écrit par Zimbardo et Boyd intitulé ‘The Time Paradox’ (désolée il n’a pas encore été traduit en français), j’ai découvert un site web qui permet de remplir le questionnaire développé par ces chercheurs et découvrir quelle est notre perspective temporelle. J’ai fait le test, et ma note la plus élevée s’est retrouvée sur l’échelle du passé positif. Comme quoi…
Voici l’adresse du test : http://www.psychomedia.qc.ca/tests/perspective-temporelle
Si cela vous intéresse, allez préparer un petit café ou une tisane, sortez-moi ce iPad ou cet ordinateur, et tentez le coup !
Un texte de Sonia Lupien PhD., Directrice du Centre d’Études sur le Stress Humain