Par Dre Sonia J. Lupien
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la dépression majeure deviendra en 2020 la deuxième cause d’invalidité chez l’humain, après les maladies cardio-vasculaires. Cela constitue un bond phénoménal depuis quelques années.
La santé mentale en milieu de travail
Un travailleur sur deux qui va s’absenter du travail en raison de troubles de santé mentale va être absent pour une moyenne de treize jours ou ne reviendra jamais au travail. En moyenne, les coûts associés pour une absence d’environ quarante jours, par employé, sont de l’ordre de dix mille dollars. Une étude récente attribue à la dépression en milieu de travail des coûts de l’ordre de 4,5 milliards $ canadiens.
Les effets à long terme
Cette situation comporte des conséquences négatives pour les quatre gros joueurs en milieu de travail : les compagnies d’assurance, les employeurs, le système de santé mentale, et l’individu.
a- Les compagnies d’assurance
En 1991, 15 des réclamations d’assurance étaient liées à des troubles de santé mentale. Dix ans plus tard, ce chiffre a presque triplé. Aujourd’hui, environ 40 des réclamations d’assurance sont liées à ce genre de troubles, ce qui coûte aux compagnies d’assurance quelque quinze à trente-trois millions de dollars par année. À long terme, il risque d’y avoir une diminution de la couverture d’assurance, ou du moins, une modification de sa nature compte tenu des coûts qui ne cessent d’augmenter, de même que de la couverture d’invalidité élevée, à cause notamment du taux d’absentéisme dû auxdits troubles.
b- L’employeur
1- LES COÛTS DE REMPLACEMENT ET DES ACTIONS EN JUSTICE
Les coûts pour l’employeur sont énormes et leurs différentes sources inter reliées. Premièrement, il y a les coûts pour remplacer l’employé qui s’est absenté. En second lieu, il y a de plus en plus d’actions en justice prises par l’employé, contre l’employeur qui sont liées au stress ou à la santé mentale. Elles ont doublé au cours des dernières années. Le meilleur exemple pour illustrer le phénomène demeure l’étude du cas des entreprises américaines. En effet, les compagnies sont tenues d’assurer le bien-être psychologique et la santé mentale de leurs employés. Or, l’augmentation des cas de stress liés au surmenage au travail fait qu’actuellement aux États-Unis, neuf actions en justice sur dix sont couronnées de succès.
2- LES COÛTS DU PRÉSENTÉISME ET DE L’ABSENTÉISME
Ce qui coûte très cher aux compagnies, qu’on avait sous-estimé préalablement, et qui commence à devenir très important, est ce que l’on qualifie de « présentéisme » ou « d’effet quidam ». Ce dernier phénomène se comprend du fait que le corps est au travail, mais que la tête n’y est pas. Les employés qui souffrent de stress et/ou de troubles de santé mentale se présentent donc au travail, mais leur performance diminue considérablement.
Une étude aux États-Unis a démontré que sur une période de deux semaines, l’absentéisme coûterait une heure par employé, pour un total de huit milliards de dollars annuellement. Quant aux effets du présentéisme, cela équivaudrait à quatre heures perdues par semaine, pour un total de trente-six milliards de dollars annuellement. Ceci laisse croire que le présentéisme et les moyens potentiels pour le prévenir seront de plus en plus à l’ordre du jour des décideurs et des chercheurs.
c- Le système de santé
Le « burnout » ou l’épuisement professionnel a été identifié en 1980; il n’existait pas auparavant. Il a été caractérisé comme étant un trouble mental lié à une surcharge de travail, majoritairement dans les types de travail qui nécessitent une grande empathie de la part du travailleur (ex., professeur, infirmière, médecin, etc.). Aujourd’hui, le « burnout » est une entité psychiatrique très floue, ce qui cause une difficulté de diagnostic différentiel entre le « burnout » et la dépression. Par ailleurs, il est très difficile pour un médecin traitant de diagnostiquer un « burnout », laissant place à la possibilité de nombreux abus.
En effet, une personne qui se présente dans un état de détresse psychologique ne peut être diagnostiquée d’une maladie en particulier. Ceci pousse souvent les médecins à retirer cette personne de son milieu de travail et à lui prescrire une évaluation en psychiatrie pour avoir une validation du diagnostic émis par le médecin de famille. Ceci a pour effet de surcharger les listes d’attente déjà assez longues en psychiatrie. Plus la personne est tenue d’attendre, plus elle est en état d’absentéisme prolongé.
Chez les psychiatres, c’est la grogne. Ils se plaignent de la surcharge qui souvent est liée à des cas non justifiés.
Un groupe de psychiatres dans le West Island a effectué une étude où seulement 25 des cas examinés qui étaient sur leurs listes d’attente démontraient des troubles de « burnout » ou de dépression (Lalla F, Rosenberg L, Brown R. 2004. ‘Inappropriate Interventions : An examination of how the medical model can complicate receovery and function’, December 3, 2004, Pointe-Claire).
d- L’individu
Être diagnostiqué pour un trouble de santé mentale n’est pas une chose facile pour un individu. En effet, ce diagnostic peut longtemps lui coller à la peau. Ce diagnostic peut, à long terme, finir par l’affecter et le conduire vers une diminution de l’estime de soi. Quant aux conséquences à long terme, cela se traduira par une perte de revenus et une évaluation négative des pairs ou de la famille. De plus, retirer l’individu de son milieu de travail lorsqu’il souffre de trouble de santé mentale signifie lui retirer le support social qui résulte de son interaction avec le milieu de travail.
En effet, l’employé passe en moyenne huit heures par jour dans un environnement social qui est presque devenu le seul endroit pour des relations et du support social. À la maison, c’est la famille qui prend le relais. Le support social devient ainsi le meilleur moyen de négocier les troubles de santé mentale. D’ailleurs, de plus en plus de psychiatres doutent de l’efficacité de retirer le travailleur de son milieu de travail. Car, ce faisant, ils lui enlèvent ce support social dont il aurait besoin pour mieux guérir.
En fin de compte, c’est l’individu qui est le grand perdant, car à part la souffrance, il risque une diminution de la couverture d’assurance dont il a besoin, ainsi qu’une évaluation en santé mentale lors de l’entrevue pour un emploi. S’il s’avère véritablement souffrant d’un problème de santé mentale, il devra prendre son mal en patience car les listes d’attente sont surchargées, sans parler des coûts d’un mauvais diagnostic à tous les points de vue.